Habiter sous le PLUI ? – épisode 1 – Bataille d’illustrations

Un lundi matin, il y a quelques semaines, une yourte a atterri sur la zone d’activité Erette-Grand’Haie, à Grandchamp-des-Fontaines, là où devait être construite une plateforme logistique Amazon de 121 000 m³. C’est ici, en bordure de l’axe Nantes-Rennes qu’ont déjà été soigneusement rangées les nouvelles activités locales de type « tertiaire, industries, logistique, artisanat » Les allées vides et immaculées, la géométrie rectiligne des bâtiments et leurs grands parkings peuvent sembler un peu hostiles à la vie au premier abord, mais « le parc dispose de nombreux services attractifs : haut débit, aire de covoiturage, restauration, crèche, transports en commun ». C’est aussi là que s’est établi le centre administratif de la communauté de communes d’Erdre et Gesvres (CCEG), dont le territoire de la zad fait partie. Nous sommes le 15 avril et c’est dans ce décor typique des avancées de la civilisation occidentale moderne que s’ouvre l’enquête publique sur le Plan local d’Urbanisme Intercommunal (PLUi). Dans le bâtiment de la CCEG, il y a les commissaires enquêteurs qui vont noter les remarques et propositions et donner à ce plan-là son vernis d’interactivité. Dehors, autour de la yourte au milieu de la route, il y a des habitant.e.s de la zad et des communes alentours qui sont venu.e.s défendre le bocage et la possibilité d’y vivre dans des habitats considérés hors-norme. Après que l’État en a brutalement détruit une partie l’an dernier, le PLUi a sciemment oublié de laisser une place pour ceux qui restent. Et pourtant ces habitats dits légers , auto-construits , réversibles , alternatifs… sont toujours au cœur de l’ecosystème bocager qui s’est constitué pendant les années de lutte. Au même titre que les vieilles fermes de pierre autour desquels ils se regroupent parfois, ces bâtis sont devenus indissociables de la possibilité de continuer à cultiver la zad en échappant à l’agriculture intensive, d’en préserver les haies et les mares ou de rendre cette zone rurale infiniment plus vivante que les allées immaculées des zones d’activités du monde entier. Et puis c’est aussi sacrément attractif : il y a des personnes qui viennent justement du monde entier pour voir comment, dans ce bocage, on expérimente de nouvelles manière d’habiter.

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À côté de la yourte, il y a des tas de crêpes à la confiture de framboise comme pour un lundi au soleil, mais aussi des dessins, des schémas, des plans et un petit groupe de personnes qui expliquent aux autres comment ça (ne) marche (pas très bien) le PLUi et le découpage du paysage en zones bien identifiées. Des habitué.e.s de la commission habitat de l’assemblée des usages racontent tout ce que ces zones-là sont censées recouvrir et oblitérer de la réalité. Il faut dire que sur 1500 pages d’écrits planificateurs, seule une ligne mentionne l’abandon du projet d’aéroport et les 40 ans d’histoire qui ont forgé ce territoire et son avenir… Mais quitte à se plonger dans les mystères de l’urbanisme, la commission habitat n’a eu de cesse de rappeler aux élus locaux que nous vivions ici, certes de manière quelque peu atypique mais que nous allions rester. Et qu’il allait falloir trouver les moyens de s’en accommoder et que nos manières d’habiter ne soient plus menacées. Entre diverses balades, rencontres et ateliers, la commission a organisé récemment, lors d’un week-end entre habitant.e.s et soutiens, une « big battle d’illustration » pour mieux visualiser ce que nous voulions défendre. Ce sont certains de ces dessins que nous sommes repartis pour comprendre le maillage social et écologique dans lequel s’inscrivent aujourd’hui les différents types d’habitats de la zad. Dans ce premier épisode tibo, du comité de soutien Défendre Habiter, venu vivre sur la zad, va nous faire voyager à travers ces dessins réalisés à une quarantaine de mains. Nous reviendrons avec lui le mois prochain au cœur de la bataille de l’habitat et poursuivrons notre recherche des moyens de s’abriter par temps de PLUI. Mais pour l’heure on se téléporte tout de suite à 8,9km de la zone de l’Erette et on atterrit tout droit dans la cour des Fosses Noires.

Première série : « l’îlot habité ».

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« Ben ça c’est les Fosses Noires et ses alentours proches. Les Fosses Noires, c’est une des maisons historiques qui n’a pas été détruite par le projet d’aéroport. »

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« Là avec le même dessin l’idée c’est de montrer que se mélangent ici 3 typologies de bâtiments, les bâtis anciens en dur, l’habitat léger et des constructions récentes qui ne sont pas dédiées à de l’habitat. »

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« Cette version-là est orientée sur la description des usages. On y a représenté une partie de ce qui peut se regrouper dans un même lieu. Des habitats et des espaces qui permettent des activités qui sont autant le fait de gens qui habitent ici que d’autres qui vivent ailleurs sur la zad ou hors de la zad. Là, on voit la maison du collectif de permanent.e.s des Fosses Noires. Puis l’espace invité avec le dortoir et une cuisine indépendante qui permet à des gens de rester sur zone pour un temps. C’est un espace qui sert aussi de lieu de réunion. C’est par exemple là que se font les réunions du fonds de dotation. Puis à côté il y a la brasserie en construction, la boulangerie collective, les serres, le jardin potager, des volailles, le champ de houblon. Il y a du stockage de matos parce que c’est un endroit où l’on vient souvent bricoler des constructions, des engins, des remorques…Et puis il y a aussi autour différents habitats en camion, caravanes, cabanes, yourte. Tout cela est ponctué d’arbres et entrecoupé par des haies. Cette 3e planche tente donc aussi de mettre en avant la juxtaposition d’espaces partagés et d’espaces plus personnels.

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« Ce dernier dessin montre qu’aussi diverses que soient les activités aux Fosses Noires, la production agricole est très présente avec le potager, le poulailler, la houblonnière. Et cette production est reliée aux habitant.e.s présent.e.s sur le lieux, par exemple avec les œufs qui finissent en omelette dans la cuisine à côté, mais elle te connecte aussi au-delà, par exemple avec la bière qui a probablement vocation à se diffuser beaucoup plus loin. »

« On a choisi de dessiner les Fosses Noires parce qu’elles semblaient un peu typique de la façon dont peuvent être pensés les différents lieux de vie collectif sur la zad et par là même, les manières d’habiter que l’on cherche à défendre. Il s’agit donc de comprendre qu’on a affaire à un emboîtement des espaces et des échelles : un habitat central, des habitats légers ou auto-construits autour, des infrastructures avec des projets agricoles et non-agricoles menés par les habitant.e.s, mais aussi par d’autres.Ce n’est pas une ferme avec une production, un habitat avec une famille. Ce sont d’autres logiques. Et il y a effectivement un bon maillage d’espaces partagés de ce type sur la zad : la NoéVerte avec la conserverie, les jardins et le verger, le Moulin de Rohanne avec les serres et l’Ambazada à côté, Bellevue avec les différents artisans, la boulange ou le hangar bois en plus des activités agricoles, les nouveaux 100 noms avec la bergerie, le réseau de ravitaillement des luttes ou le labo galette, la Wardine avec l’espace de réunion et de fête, les ateliers, l’espace danse et sport ou enfants, Saint-jean Ferme et l’atelier méca…il y aussi des espaces comme la Rolandière qui n’a pas d’activité agricole mais accueille la bibliothèque, l’espace médic, plein de soirées et réunions et un point de vue imprenable sur le bocage…

Tous ces lieux ne sont ni des habitats « privés » ni des infrastructures collectives « publiques », c’est la plupart du temps un entremêlement des deux. Et c’est intéressant parce que c’est par ailleurs devenu plutôt rare dans notre monde cet entremêlement-là, mais c’est assez courant sur la zad. Cela fait aussi que le collectif d’un lieu peut être autant perçu comme ses habitant.e.s que comme les gens qui y ont leurs activités. Et il y a d’ailleurs à différents endroits des assemblées mixtes entre habitant.e.s et non-habitant.e.s. On n’a donc pas un espace où seraient rassemblés les espaces de production et un autre où se regrouperaient les habitats et qui serait le centre du village. Mais on a plusieurs polarités qui déploient des activités plus ou moins complémentaires à l’échelle de la zad avec diverses formes de communisations des ressources et outils. A part ça, ce n’est tant pas la structuration en propre de chacun de ses lieux qui fait la spécificité de la zad, mais le fait qu’il y en ait autant qui se côtoient de cette manière là sur un même territoire. D’ailleurs le dessin donne faussement l’impression que les Fosses Noires sont une unité isolée, mais en fait si on prolonge juste un peu le dessin de l’autre côté de la haie, il y a le jardin Rouge et Noire, la cabane médicinale, d’autres cabanes puis encore, de l’autre côté d’une autre haie, les Vraies Rouges.

Il faut noter que dans le cas des Fosses Noires, comme dans d’autres, on s’appuie sur des infrastructures héritées du passé, qui offrent de sacrés possibilités avec leurs granges et autres grand espaces. Et on se répartit autour. Les lieux qui n’ont qu’un usage d’habitat « privé » et qui ne sont pas construits directement autour des gros lieux de vie collectif correspondent en général à des « cabanes » qui se sont construites pendant le mouvement d’occupation, et qui sont plus petites. Mais à leur propos, tu pourrais aussi faire un dessin inverse. Il montrerait que ces habitats en apparence plus isolés, tu peux en fait les relier sur une carte à telle ferme où les habitants vont faire leur lessive ou participer aux assemblées, tel autre lieu où ils vont s’occuper du réseau de ravitaillement, faire la fête ou tourner un film, telle serre où ils vont aider à la cueillette des légumes… Sachant que l’agencement de nos journées peut souvent nous faire passer de l’une à l’autre de ces activités et donc de l’un ou l’autre de ces lieux. A part quelques rares ermites, il n’y pas d’habitats à partir desquels tu ne puisses représenter ce type de tissage particulier des usages et de liens avec d’autres lieux de vie à l’échelle de ces 1600ha. C’est-à-dire sur un espace important mais où tu peux quand même facilement aller à pied ou en vélo un peu partout. Et pour ce qui est de la vie rurale, cela produit un nombre d’échanges humains quotidiens assez fous. Il y a là quelque chose de la richesse et de la multiplicité de la vie sociale que tu peux avoir en ville sauf que là tu es en pleine campagne. Sachant qu’ici tu ne fais généralement pas que te croiser ou discuter sans devoir faire ou t’engager ensemble à un moment donné. »

Seconde série – les paysages du bocage:

« Ce dessin-là c’est une perspective aérienne. Il inverse un peu la focale par rapport au précédant au sens où les habitats ne sont plus le centre du dessin mais font partie du paysage. Il s’agit de montrer que ce n’est pas qu’une question d’habitats mais que l’on habite un milieu bien particulier, qui est le bocage. Avec toutes les haies qui ont un été d’abord un moyen de découper en parcelles et de pouvoir aussi mieux cultiver les anciennes landes. Puis elles ont été rasées dans plein d’endroits dans les années 70, 80 et 90, mais pas ici. Et maintenant, on en reparle beaucoup parce qu’elles rendent tout un tas de « services »… même si on peut aussi parler de leur richesse en d’autres termes moins utilitaristes. Et donc ce bocage, ce sont donc des haies, des talus, des voies de circulations qui bordent des champs avec aussi des parcelles boisées. Et à l’intérieur de ça s’est créé à la zad une certaine manière d’habiter le bocage : plutôt mettre sa cabane au bord de la haie et pas au milieu du champ par exemple, ou construire sans fondations, ce qui permet de ne pas laisser de marques dans le sol si la cabane est démontée.

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Il y a donc ces îlots d’habitats qui ponctuent le bocage et les voies de circulation entre eux. Dans un second temps, tu peux regarder ce qui se passe dans les champs avec de l’élevage ou des cultures et la mise avant des rotations sur les parcelles. Tu vois qu’il y a sur une échelle de ce type une diversité d’activités agricoles beaucoup plus grande que dans la plupart des campagnes aujourd’hui. Tu pourrais montrer aussi qu’il n’y a pas un champ qui appartient en propre à une activité. Sur pas mal de parcelles, il y a des destinations qui dépendent des années suivant ce qui sera décidé dans des réunions d’assolement entre différents projets agricoles.

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Ce dessin permet de voir par ailleurs que ce paysage ne se pense pas qu’en termes d’agriculture productive mais qu’il y a au milieu plein d’éléments naturalistes qui s’y insèrent comme les mares ou des prairies oligotrophes qui peuvent être éventuellement pâturées par les ovins mais qui demandent une attention particulière. Et donc là encore une fois on a pas un zonage avec un espace où seraient regroupés des habitats, puis une zone agricole, puis une réserve naturelle… c’est beaucoup plus complexe. On voulait d’ailleurs rire un peu en faisant un tout autre dessin de la zad en mode zoning où on mettrait toutes les yourtes dans un champ de yourtes, toutes les mares dans un champ de mares, etc…

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Dans ce dessin-là on a une attention particulière donnée aux arbres parce qu’il y a la dynamique Abracadabois qui se préoccupe de la forêt de Rohanne mais aussi des haies…Donc chaque dessin est identique mais se concentre sur une focale différente et à la fin, quand tu superposes, cela donne un système bocager complet, préservé et enrichi par l’activité de ses habitant.e.s.

Au contraire du zoning où tu divises tout en zones et en usages séparés, on est plutôt là dans un système de calques qui va montrer comment sur un même espace il y a plusieurs unités de lectures. Or le PLUi c’est un seul plan qui représente des zones. Il a tendance à tout mettre dans des cases mais aussi à essayer de figer ces cases dès maintenant pour les années à venir. Sauf qu’ici, on le voit dans notre histoire récente, il y a une perspective beaucoup plus souple et dynamique. C’était pendant toute une période fortement lié aux besoins de la résistance contre l’aéroport et aux destructions et reconstructions. Le rythme va sans doute changer, mais on est sur un territoire que l’on continue à remodeler au quotidien et il faut que pas mal d’éléments puissent encore bouger dans les prochaines années pour coller à ce qui s’expérimente ici.

C’est marrant parce que pour décrire la force spécifique du mouvement anti-aéroport on a souvent parlé de composition entre les naturalistes, les paysan.ne.s, les associations, les occupant.e.s… Et cette composition-là tu peux la retrouver presque point par point dans les différents couches de la composition paysagère. Quand on regarde cette série de dessins, on a envie de se dire que si cette lutte a été victorieuse c’est parce qu’elle collait vraiment au paysage. On peut imaginer qu’il s’y est développé une conscience de cette superposition des différents aspects du bocage et de la nécessité de les penser ensemble sur le plan de la résistance au projet. Mais aussi inversement que l’on a fini par inscrire durablement dans le paysage la complexité de la lutte. »

A suivre…