Assemblée au carré

AG des AG

C. est impliqué depuis le tout début du mouvement des Gilets Jaunes à Commercy, il a notamment participé à l’organisation de la première Assemblée des Assemblées (une Assemblée de coordination des Assemblées locales) et est revenu fort enthousiaste de la seconde, à St Nazaire. Dans cet entretien, il nous livre ici quelques réflexions.
Quelle est la genèse de l’Appel de Commercy(un appel à organiser des Assemblées locales populaires dans toutes les villes de France)?
Commercy est une toute petite ville (6000 habitants). Le 17 novembre, il n’y avait donc que 5 ou 6 points de blocage qui ont suffi à paralyser la cité. Tout naturellement est venue l’idée de se rassembler sur un seul rond point dès le soir même afin de décider de la poursuite ou non du blocage.
Dès lors, une AG a eu lieu chaque soir avec au moins une centaine de personnes présentes. Ces AG étaient animées par une ou deux personnes armées d’un mégaphone. Et le quatrième soir, le mégaphone est tombé en panne. Du coup on s’est mis en rond pour mieux s’entendre et la parole a été distribuée à égalité. De fait, elle s’est libérée. L’Assemblée était née. Il y en eu une chaque soir jusqu’en janvier ! Avec respect absolu de la démocratie, et des porte-paroles révocables et s’interdisant de donner leur propre opinion.
Ce modèle était tellement enthousiasmant, tellement libérateur, que quand on a vu que des Gilets Jaunes voulaient rencontrer le gouvernement en notre nom, ou encore faire des listes aux élections européennes, on s’est dit qu’il fallait réagir et lancer un appel contre ce détournement du mouvement.
C’est ce qu’on a fait avec notre premier appel, mais on ne s’attendait pas à rencontrer pareil écho : des centaines de milliers de vue sur youtube et des messages par centaines de toute la France et même des quatre coins du monde.

Qu’est ce qui vous a poussés à organiser la 1ère AG des AG à Commercy?
Tout d’abord justement le succès incroyable de notre premier appel à des assemblées partout et surtout une bonne dynamique de notre groupe qui s’est tout de suite senti de s’y atteler.
Dans le groupe des Gilets Jaunes de Commercy, il y avait des personnes qui militaient pour la première fois, mais aussi quelques militant-e-s aguerri-e-s qui ont eu le bon sens de se fondre complètement dans le mouvement, de lui vouer un infini respect et de mettre leurs compétences organisationnelles à son service. La mayonnaise a pris, les origines et opinions de chacun étaient respectées, la confiance était là, on était en mesure de démarrer. L’idée de structuration horizontale est née tout naturellement de la situation. Elle a procédé à la fois de refus des leaders autoproclamés et de la nécessité qui s’est fait sentir d’une coordination de toutes celles et ceux qui se reconnaissaient dans le fonctionnement en assemblée locale.

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Comment vois-tu le développement de Commercy à St Nazaire? Pourquoi être allé à St Nazaire?
On a vite compris qu’une seule AG des AG ne suffirait pas. La démocratie, la vraie, c’est compliqué! Et puis il fallait laisser le temps aux groupes de toute la France de se constituer, de réfléchir à leurs positions sur des tas de sujets à coordonner. Les potes de Saint Nazaire étaient parmi les plus « avancés » en la matière puisqu’ils avaient créé une maison du peuple dont la renommée était nationale. La jonction entre eux et nous s’est donc faite tout naturellement. Et c’est tout aussi naturellement qu’ils se sont proposés pour organiser la deuxième Assemblée des Assemblées.
Faire la première à Commercy avec 75 groupes et 400 personnes, c’était déjà un boulot de dingue, mais ce n’était rien à côté de St Nazaire, avec 250 groupes et 800 personnes présentes. Ces gens de St Nazaire sont des fous furieux ! Ils sont allés jusqu’à abattre toutes les cloisons de la maison du peuple pour nous accueillir.

C’était donc complètement impossible de rater cela ! Enfin quoi ! Un moment historique au cours duquel des gens en lutte depuis des mois tentent de se coordonner en respectant un mode de fonctionnement hyper démocratique, en prenant le temps, en ne brûlant pas les étapes, en refusant les échéances gouvernementales et en ne se laissant pas avoir par de prétendus leaders du mouvement qui orientent les choses à leur sauce, c’est du jamais vu. Alors même si on échoue à la fin, on se dit qu’il en restera une trace et que ça valait le coup d’en être.
Sans rire, j’en connais qui sont passés à côté de ça alors qu’ils en ont rêvé toute leur vie. Parfois, on espère tellement les choses que quand elles se produisent, on n’y croit pas.
Nous à Commercy, on y a cru !

Comment as tu vécu l’AG des AG de St Nazaire? Quels en ont été les points forts? Les points faibles?
Les points forts : tout d’abord l’enthousiasme, l’amitié, la fraternité entre personnes qui mènent un même combat. Avec sans doute des objectifs un peu différents, un peu flous, des divergences sur des points politiques importants. Ces personnes, qui pour beaucoup ne se connaissaient pas quelques mois auparavant, se sont retrouvées là mues par une même énergie, celle de l’espoir. L’espoir de briser le carcan de cette société étouffante, et la certitude d’y être déjà parvenu un petit peu.
Je crois vraiment que l’espoir, c’était le filigrane à St Nazaire. On arrivait toutes et tous là avec une inquiétude au ventre : on est fatigués, on est moins forts qu’il y a cinq mois, on n’y arrive plus aussi bien qu’avant en local, comment faire pour redémarrer? Pour durer ? Est-ce qu’on va réussir à puiser les solutions dans l’intelligence collective de 250 groupes ? Les yeux et les oreilles étaient grands ouverts, avides de cet espoir que nos adversaires du gouvernement et de la finance tentent de détruire par tous les moyens. C’était beau à voir !
Un autre point fort c’était la modestie : on apprend un processus démocratique, on ne sait pas si on va y parvenir, on va essayer quand même et on sait que ce sera dur. Et aucune grande gueule pour nous dire: « suivez moi ce sera facile ». Aucune ! Et ça c’est complètement inédit.
Les points faibles sont le pendant de notre force : faire débattre à égalité 400 délégués, c’est pas de la tarte. Donc il y a eu souvent un joyeux bordel et pas mal d’engueulades. Et aussi une grande lassitude de certains délégués face à des débats parfois interminables. On y est arrivé pourtant, souvent dans la douleur, mais on a sorti plusieurs appels importants qui sont en ligne et aussi on a commencé à monter une vraie plateforme de coordination sécurisée qui devrait naître dans les jours qui viennent. Comme point faible, on a aussi senti l’influence de gens ou de groupes politisés, qui clairement tentaient de plaquer une idéologie sur le mouvement. En faire un mouvement très écologiste, anticapitaliste, ou à l’inverse souverainiste, ce qu’il n’est pas dans la réalité. C’est humain quand on a des convictions. Mais franchement c’est dommage de ne pas avoir comme souci principal de respecter les rythmes quand on est dans un mouvement de cette originalité et de cette force.
Au bout du compte on sort un appel plutôt équilibré, même s’il est un peu trop écolo à mon sens (par rapport à la réalité du mouvement), mais qui ne s’en est pas laissé compter.

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Comment vois tu « l’après St Nazaire »?
Je ne sais pas. Peut-être que c’est déjà trop tard. Peut-être que notre coordination/structuration n’aura pas le temps d’aboutir car on est au bout du rouleau. Peut-être que le monde qui devenait beau va retomber dans les mêmes schémas : des chefs qui organisent, décident commandent, font semblant de proposer alors qu’ils imposent, et des gens qui retournent voter parce qu’il n’y a plus rien d’autre à foutre. Peut- être qu’on va se laisser noyauter ou dépasser par tel ou tel groupe… Ou peut être pas! Peut être qu’à Montceau-les-Mines au mois de juin, à la troisième assemblée des assemblées, on va découvrir que non seulement on est toujours là, mais qu’on est plus forts qu’avant ! Et qu’on est seulement au début d’un truc encore plus immense qui va révolutionner la société. C’est une course. Il faut pas qu’on faiblisse. On a du pain sur la planche et c’est enthousiasmant
Ce que l’on retrouve dans nos appels le dit bien : Continuer le combat et les manifestations c’est une évidence. Maintenir nos revendications de départ, nos fondamentaux, c’en est une autre. Tout le monde en a bien conscience: nous devons tenir dans la durée. Pour ce faire, il va nous falloir désormais accepter certaines convergences afin de renforcer notre pouvoir de pression, c’est notamment l’objet de notre appel à la convergence écologique. Mais attention si ces convergences deviennent fusion ou conduisent à notre récupération, nous aurons perdu tout aussi sûrement que si notre mouvement s’arrêtait. Grâce au processus de Saint Nazaire et si celui-ci se solidifie, nous Gilets Jaunes pourrons prendre confiance, croire en notre force et à la puissance de notre structuration démocratique. Le caractère transpartisan de notre engagement pourra faire école et atténuer la nuisance des chapelles politiques.

D’autre part, il va nous falloir impérativement un ancrage local pour pérenniser le mouvement et lui délivrer un débouché acceptable, palpable immédiatement, sans attendre une victoire finale somme toute hypothétique. C’est l’objet de notre appel à créer des assemblées citoyennes partout, à mon avis le plus important dans la période. Davantage que le RIC qui en serait un simple prolongement, ces assemblées seront le lieu d’échange de délibération, d’apprentissage de la démocratie directe à laquelle nous aspirons toutes et tous instinctivement ou consciemment. Ce seront les lieux qui nous permettront de nous réapproprier le pouvoir de décider de nos vies, de ne pas déléguer ce pouvoir à des élites nationales ou locales qui trahissent systématiquement les aspirations populaires. Une fois ces assemblées installées et ancrées dans les paysages locaux, nous tenterons alors de nous fédérer afin d’organiser progressivement le contre pouvoir nécessaire pour résister à l’appareil répressif de l’Etat, afin également de soutenir toutes les luttes des Gilets Jaunes.

Voilà le prolongement logique immédiatement atteignable pour notre mouvement.

Si nous n’y parvenons pas, sans doute nous éteindrons nous. Mais ce sera provisoire car la marque de ces mois de remous profonds est indélébile. Des stades ont été franchis. La révolte se rallumera.

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