Le lierre

De temps en temps, le professeur Jasmin n’y tient plus : il doit présenter à tous une espèce de la zad que généralement nous ignorons allègrement. Son nom peut être poétique ou scabreux, son aspect banal ou majestueux, peu lui importe ; pour lui, elle recèle toujours une histoire, qu’il nous conte au gré de ses balades.

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Contrairement à notre précédente tête d’affiche, le lierre n’est pas une plante rare, tout le monde en a déjà vu, sur la zad comme ailleurs. Ça ne l’empêche pas d’avoir une vie à la fois lente et agitée, la vie d’une plante à part entière. Il offre aussi tout un programme pour aller vers la nature : on peut faire de la musique avec ses feuilles, faire la collection des plus biscornues d’entre elles, sentir ses fleurs odorantes, lire les deux derniers numéros de la hulotte qui lui sont consacrés…

Il naît d’une graine en forme de petit cerveau de 3 mm de long, sans doute pour paraître plus intelligent que les autres dès la naissance. Celle-ci est blanche au départ mais devient parfois toute rouge, et alors elle ressemble aux grains de blé enrobés de pesticides qui sont semés dans les champs. Mais c’est du bio.

Notre ami démarre tout doucement, prudemment. Après une première année de pousse, il n’a qu’une seule feuille en plus de ses deux cotylédons (les deux feuilles enserrées dans la graine, et qui contiennent des réserves). En effet, comme il s’installe sous les arbres, il doit se débrouiller avec très peu de lumière et donc très peu d’énergie. Petit à petit, il rampe de plus en plus vite. À cet âge, il a un comportement rare chez les plantes mais efficace pour une liane : il se précipite vers les endroits les plus sombres. Cela lui donne de meilleures chances de trouver rapidement un arbre ou un rocher sur lequel grimper. Il est dans une période difficile, car ses feuilles s’étalent sous le nez des chevreuils, qui les trouvent très savoureuses et disponibles en toute saison.

Dès qu’il peut se mettre à grimper, il entre dans la deuxième période de sa vie. Il monte alors très vite sur les arbres. Les tiges de lierre qui se croisent sur un tronc se soudent. Grâce à cette astuce, il survit même si presque toutes ses tiges sont détruites au pied de l’arbre. Ses racines se cramponnent au support et il se fait accuser d’étouffer les arbres et de boire leur sève. Mais c’est une accusation très injuste pour ce faux pirate : il n’étrangle absolument personne, et on ne peut pas sérieusement l’accuser de se nourrir des rochers et des poteaux électriques sur lesquels on le voit souvent. En fait, il ménage même les arbres : dès qu’il se sent suffisamment éclairé, il s’arrête de pousser et laisse le bout des branches profiter du soleil. Comme il peut vivre jusqu’à 400 ans, il n’a aucun intérêt à tuer son support.

Il commence alors sa troisième vie. Il ne grimpe plus, ses feuilles prennent une forme toute simple, il pousse doucement. Il montre une belle et généreuse originalité : il nourrit les abeilles en fin de saison et il les aide à passer l’hiver, puis fait de même avec les oiseaux en donnant des fruits dès le tout début du printemps, alors qu’ils ont très faim. Il prend la forme d’un arbre dans l’arbre, où vivent une foule d’insectes et d’oiseaux. C’est un monde à lui tout seul.

En résumé, il sait attendre son heure, jouer la solidarité, imposer un calendrier à contre-courant des normes, créer un monde accueillant, se transformer selon la situation… Une bonne source d’inspiration, comme beaucoup de plantes, quand on sait les regarder.

Pr. Jasmin

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