Investir les lieux, réinventer les liens

A-LA-UNE

Retour sur plusieurs mois d’occupation avec les exilé.es à Nantes. Épisode 2

Voici la deuxième partie d’un entretien réalisé au mois d’août dernier, avec des exilé.es et des nantais.es en lutte. Cette année, ils ont réquisitionné des logements vides, dans une envie commune de construire et lutter ensemble. Cette expérience donne du souffle pour s’emparer de pratiques de résistance, d’hospitalité et de solidarité. Elle incite à renforcer le mouvement de lutte sur cette question cruciale de l’exil et des frontières, à l’heure de la montée en puissance généralisée des partis xénophobes.

Il reste beaucoup à construire pour accueillir les exilé.es de manière digne en les considérant comme des personnes et non comme une population à gérer. Beaucoup à faire pour lutter contre les politiques sécuritaires et coloniales, pour reprendre la rue et arracher des lieux d’accueil inconditionnels auto-organisés.

Cet entretien donne des pistes pour construire et apprendre ensemble à lutter contre la politique de gestion des autorités, à partir des récentes expériences nantaises racontées par certains de leurs protagonistes.

Printemps 2018: Ouvrir un EHPAD et prendre la rue

1. Ehpad

Nadim : Lorsqu’on est rentrés dans le bâtiment, j’étais tout le temps à la fenêtre. On était en train de faire notre première réunion, et là on a entendu un cri. Alors j’ai sorti ma tête par la fenêtre, et on a vu un policier qui voulait rentrer par la fenêtre ! Il m’a gazé et moi, je n’ai pas laissé faire, j’ai bouché la fenêtre. Après il a fait rentrer un pied-de-biche sous la fenêtre.

Pia : Oui, au début c’était sa matraque, et après le pied-de-biche. Ça a duré hyper longtemps, la bataille de la fenêtre. Une heure au moins…

Elsa : Il y avait une barricade humaine de quinze personnes qui se relayaient en s’écrasant les unes les autres sur la fenêtre pour empêcher les pieds-de-biche de faire un boulot… qu’on apprécie en d’autres circonstances.

Pia : Nous on est montés, et les flics visaient au LBD par les fenêtres.

Elsa : D’ailleurs, c’était très drôle ce moment-là. On était dans la salle en haut, il y avait les flics dehors qui nous visaient au LBD et avec une amie, on expliquait aux autres ce que c’est qu’un LBD. Ils nous ont dit : « c’est des balles en caoutchouc ? », et il y en a un qui a dit : « Mais, chez moi, ils tirent à la kalash ! »

Mahmud : Mais chez nous c’est comme ça, hein. Chez moi, en Guinée, c’est des tirs à balle réelle.

Pia : Et nous on est là, et on veut pas perdre des yeux ! (Rires partagés)

Mahmud : Ici, c’est des gaz lacrymogènes, c’est des balles en caoutchouc. Chez nous, c’est à bout portant, tu meurs. Ça arrive souvent dans les manifestations.

Nadim: Et tu vois, il y a des gens là-bas dans mon pays qui sont très motivés et qui poussent les flics. C’est eux, les flics, qui reculent, en tirant, et nous, on avance !

Mahmud : Et là-bas, on a des lance-pierres, c’est trop pratique ça. Il faut être des guerriers pour participer aux manifs. C’est pas comme ici, où c’est des slogans.

Elsa : Il y a des manifestations où on discutait avec les gens avant, en disant : « pour les personnes sous OQTF1 ou les dublinés2, ça risque d’être chaud avec les flics, il peut y avoir des arrestations… ça peut être dangereux pour vous », parce qu’il y a plein de gars qui aiment venir aux autres manifs, qui ne vont pas qu’aux manifs pour le droit au logement ou les papiers, donc il peut y avoir quelques manifs plus craignos que d’autres pour leur situation. C’est vrai que des fois, on avait tendance, au début, à vouloir les surprotéger.

Pia : En fait, on a ouvert les yeux le 31 mars 20183. Moi, je me suis retrouvé rue Kervégan avec eux, et j’ai vu des scènes où je me suis dit : « Finalement (rire)… c’est nous qui devrions nous dire ’’attention’’, ils sont beaucoup plus déter que nous ! » Ils n’avaient pas peur. À un moment donné, les flics ont voulu nasser un bon nombre d’exilé.es, mais ils ont fini par les laisser repartir dans l’autre sens, parce qu’ils voyaient bien qu’ils n’allaient pas reculer !

Elsa : Il y a aussi eu la manif de soutien aux exilé.es en janvier 2018, qui était à l’appel de 60 associations. Nous, on a suivi parce qu’on voulait faire une manif de toute façon, pour fêter les deux mois d’occupation de la fac. Et cette manif-là était horrible… Au début on s’est trop amusés. On est partis de place Royale avec de la musique, des pancartes, des tee-shirts, et on est partis devant parce qu’on voulait mettre notre banderole à côté de la banderole unitaire, mais les assos n’ont pas voulu… On est partis avec une ambiance de folie. En général, il y a plus d’énergie que dans les manifs franco-françaises et les gars étaient pour certains très excités. Enfin, quand je dis les gars, c’est toutes sortes de gars et de meufs, avec ou sans papiers. Du coup, ça s’est approché un peu au contact de la police, et là, il y a les associations qui sont arrivées et qui ont dit : « Bon, on voudrait repartir, mais d’abord il faudra un retour au calme. »

Pia : Alors que le rapport à la police était que les gars dansaient sur le son du djembé en face des keufs. Enfin, rien de bien violent, quoi.

Elsa : Les manifs, c’est quand même quelque chose de vachement important. Moi, c’est parmi mes meilleurs souvenirs, les moments où on préparait ensemble ce qui allait se passer, ensuite les ateliers créa, où on fabrique les banderoles et tout, et puis la manif en tant que telle. De faire ça ensemble. Le côté ensemble, c’est quelque chose qu’on a eu du mal à mettre en place, qu’on a encore du mal à pratiquer, surtout qu’en ce moment, c’est des traductions en anglais et en arabe, donc ça fait des longues réunions. Mais c’est quelque chose qu’on a voulu dès le début. Je pense qu’on l’a mal fait au début, en n’osant pas laisser assez de place. En réunion par exemple, on prenait la parole… T’as l’habitude d’être en réunion, tu prends la parole, et t’oublies de te mettre un peu en retrait pour laisser parler d’autres qui n’ont pas forcément cette habitude.

2. Manif

Faire à la place de ou faire avec

Sam : Il y a des raisons politiques pour lesquelles on lutte qui sont étrangères aux personnes qui, de par le fait d’avoir traversé la frontière, ont accompli un acte politique. On a souvent tendance à penser que ceux qui quittent leur pays, qui partent, n’ont pas de pensée politique et ne sont simplement que des bénéficiaires. Et depuis longtemps, des assos, des collectifs, des groupes essaient de faire des efforts pour se décentrer. C’est quelque chose de vachement difficile, de faire en sorte que les exilé.es avec lesquels on lutte puissent réellement avoir une place. Quand on entend des gens faire des grands discours (sur indymedia notamment, où des gens sont derrière leur écran) pour dire qu’on est des cons, pas des vrais anarchistes… T’as envie de leur dire : « Toi, tellement tu n’arrives pas à lutter avec l’autre, que tu fais rien et que tu restes dans tes trucs purs et idéologiques. » Alors que quand tu luttes avec quelqu’un, tu vas pas lui dire : « Allez, contre les frontières ! » et quand le mec veut aller à l’école, ou te dit qu’il a envie d’avoir un peu de thunes et de fonder une famille, tu vas pas l’engueuler parce que c’est pas assez anarchiste. C’est bien plus compliqué que ça. Je discutais des fois avec des gars, qui disaient : « Les blancs parlent d’une telle façon de politique et voient le monde d’une telle façon… Nous, on voit le monde à notre façon, notre rapport à la police, aux manifestations, à plein de choses… »

Pia : Pendant l’occupation de la fac, où tout le monde avait des idées bien arrêtées, il y avait des propositions des exilé.es qui habitaient les lieux, qu’on avait du mal à entendre. Les habitant.es nous demandaient souvent : « Mais nous, on veut des responsables ! Par exemple, pour le garde-manger, on voudrait un responsable, qui gère. Parce que là, tout le monde va se servir dans la nuit, et il n’y a plus rien le lendemain ». Et nous on disait : « Non, des chefs, c’est pas possible ! » Et il s’est avéré qu’ils avaient raison, parce qu’un mois après il y avait beaucoup moins de dons, et le garde-manger était souvent vide. Et ils nous l’ont souvent reproché, en disant qu’ils avaient demandé des responsables, de façon générale, pas que pour le garde-manger.

Mahmud : Moi aussi, parfois j’ai du mal à comprendre certaines idées. Quand je pense à notre pratique, je me dis que ça ne passe pas. Juste parler, conseiller… sans qu’il y ait de sanctions. Il y aura toujours quelqu’un qui va essayer de violer quelque chose. Qu’est-ce qui fait que les gens vont avoir peur ? C’est quand réellement ils voient les sanctions qui sont là. Et quand il n’y a pas ça, ça excite tout le monde. Surtout quand il y a des va-et-vient. Bréa4, c’était ça. Je ne dis pas que ça n’a pas fonctionné, mais le truc qui a fait qu’il y avait des divergences, c’est parce qu’il y avait trop de va-et-vient. Il y avait des gens qui venaient tout le temps. Donc ça ne pouvait pas bien se passer, entre les nouveaux, les anciens… Si tu dis à ton frère : « tu ne dois pas faire ça », il te dit : « mais attends, tu es comme moi ici ». Il ne comprend pas, mais nous qui sommes là depuis le début, on essaye de lui rappeler les règles et la personne le prend mal.

Pia : Et ils répondaient souvent, c’était la phrase-type : « Est-ce que c’est ton père qui a construit ici ? » Nous, on pouvait dire des trucs, mais eux, ils se prenaient tout le temps des remarques.

Mahmud : En tant que noir, que frère, à un Guinéen comme moi, je ne peux pas lui dire : « fais ci, fais ça », la personne elle va mal le prendre. Tu n’es pas la bonne personne, tu n’es pas le mieux placé. Ça passe mieux si c’est un blanc qui lui dit. Là, la personne comprend vite… même si on a des règles communes. Vous avez plein de privilèges par rapport à nous.

Elsa : Sur les disputes, par exemple, les gars nous sollicitaient. Il y avait une commission sécurité et tranquillité qui devait s’occuper des problèmes et faire un peu de médiation. Et les gens, régulièrement, ils venaient te voir, toi en tant que blanc. Donc, même si à la fac on faisait plus à la place de qu’avec, on en a pris conscience. À Bréa, on a essayé de partir sur une nouvelle base, sauf qu’il y a des rapports de domination qui sont tellement puissants, tellement ancrés… Déjà nous, on ne repère pas tout ce qu’on doit réfléchir, tout ce qu’on doit déconstruire, et il y a des gars qui arrivent qui sont bloqués sur cette idée que toi en tant que blanc tu connaîtras mieux, tu seras plus apte à gérer une dispute, qu’on va t’écouter. Quand ils venaient nous parler de leurs problèmes d’élec’, de matelas, on leur disait de s’autogérer parce qu’il y avait des livraisons de matelas tous les jours, et que Nadim avait la clé du local où ils étaient stockés. Donc il fallait qu’ils aillent le voir. Mais non, on venait toujours nous voir en tant que blancs, et continuellement ,on devait leur dire : « Il y a des réunions et nous on n’est pas plus aptes que d’autres à répondre à vos questions. »

Nadim : Souvent, à Bréa, quand je disais non à quelqu’un qui voulait prendre les objets collectifs pour lui, la personne ne m’écoutait pas. Il me disait : « toi tu peux pas me donner l’ordre ». Je lui disais : « non, ici on va pas te donner d’ordres, tu fais ce que tu veux, mais c’est mieux de pas faire ça, c’est pour le collectif ».

Elsa : Il y a des différences politique dont parlait Sam au début, mais y a aussi d’autres différences. Parce que nous, on voit l’Afrique comme un truc unitaire. Alors qu’en fait, il y a énormément de pays et d’ethnies différentes.

Nadim : C’est les mêmes arbres, mais ce ne sont pas les mêmes fruits. Entre les différents pays, il y a tellement de cultures, de problèmes, d’ethnies. Alors forcement dans un squat de 400 personnes, tu vois une dizaine de nationalités différentes, une trentaine d’ethnies. Même si, quand on se retrouve, on est contents, on blague, nous on sait les problèmes qu’il y a au pays.

Pia : Il y avait des conflits aussi entre les gens qui étaient ensemble à l’occupation de la fac et qui avaient appris à se connaître, et ceux qui arrivaient après, qui disaient : « vous nous aimez pas, vous voulez pas nous parler, parce qu’on est des nouveaux ». Donc, il y a eu beaucoup de tensions liées à ça. Il était reproché que dans les commissions, il n’y avait que des gens qui se connaissaient déjà. Il y avait une certaine jalousie, parce que nous, au début, on a tenu le discours que les places à l’EHPAD étaient pour les gens qui avaient occupé la fac. On voulait être sûrs qu’ils puissent avoir une place une fois qu’ils reviendraient des hébergements d’urgence qui leur avaient été trouvés après l’expulsion du château5, que tous puissent revenir avant que ce soit plein. Et au final, ça a été plein partout. Au bout d’un mois, les gens dormaient dans la salle commune, dans les couloirs.

Elsa : Quand on est arrivés à Bréa, on a dû recommencer à zéro. Autant, après trois mois de vie à la fac, il y a beaucoup de gens qui avaient l’habitude des réunions, de s’organiser ensemble, qui étaient aussi présents pour militer, pour revendiquer des droits. Mais il y a aussi des personnes qui n’ont juste pas envie de prendre des risques, d’aller se faire emmerder. Car ils ont d’autres problèmes dans la tête : comment je me nourris, est-ce que je vais pouvoir rester ici, est-ce que je serai renvoyé dans mon pays où potentiellement je risque la mort ou la prison… Beaucoup de stress. Donc le « faire avec », il est limité par plein plein de choses.

Pia : Pour la préparation de la manif du 31 mars, ça a bien marché. Il y en a beaucoup qui s’y sont intéressés. Je rentrais du taf le soir et je les voyais construire les pieds-de-biche en carton dans le garage, s’intéresser à pourquoi cette manif et tout. On avait pris le temps aussi de leur expliquer pourquoi c’était important le 31 mars, la fin de la trêve hivernale. J’ai trouvé qu’il y avait une belle énergie commune pour cette manif. Le jour J, quand tout le monde est parti ensemble de l’EHPAD, c’était fort.

Elsa : Pour moi, le 31 mars était un peu la fin de l’hiver où on avait eu un sentiment de puissance, où on se disait qu’enfin on pouvait faire des trucs et avoir des petites victoires. Après, il y a eu les expulsions sur la zad, une fatigue totale à Bréa et les gens commençaient à baisser les bras.

Pia : Et en mai c’est le début de la désillusion. Quand on entend toujours les mêmes choses sortir des négos, quand France Horizon6 commence à envoyer ses vigiles…

Elsa : À Bréa, les institutions qui collaborent avec l’état, comme France Horizon, ont repris la gestion du bâtiment. Ça a été une sorte d’expulsion en réalité. Parce que pour passer de 400 personnes à 120, il a bien fallu virer des gens. Donc il y a une sélection qui a été faite. On leur a dit : « Tiens, on t’a obtenu deux semaines d’hébergement à la Rochelle ou à la Roche-sur-Yon, voilà ton billet, allez salut ! » En fonctionnant comme ça, il y a des fausses solutions de relogement qui sont proposées. Les gens ont commencé à réorganiser toute une vie ici. Ils ont commencé à connaître la ville, à avoir des amis, à avoir du réseau… et tout d’un coup on les envoie à l’autre bout du département. La personne s’en va, elle est isolée, personne n’en parle, ni la presse, ni les militants.

été 2018 : Des centaines de tentes Square Daviais et une « Autre Cantine » qui ouvre ses portes

Elsa : Et puis au bout de deux semaines, les personnes qui sont relogées temporairement comme ça, sont à nouveau à la rue, et vont au square Daviais. Aujourd’hui le truc du camp au milieu de la ville, il choque, et il fait bouger beaucoup de Nantaises et Nantais. La Préfecture, elle s’est retrouvée bien emmerdée, à faire une expulsion qui était un échec total, parce que les exilé.es sont revenus se réinstaller sur le square deux semaines après.

Mahmud : Certains ne sont même pas partis !

Elsa : Il y en a aussi qui en ont marre de vivre des expulsions à répétition, donc le problème des réquisitions, c’est comment t’essayes d’occuper un truc qui n’est pas expulsé direct.

 3. Daviais (ValK)

Avec l’occupation du square, qui n’offrait aucune commodité, un nouveau bâtiment est rapidement investi par des militant.es et exilé.es. Cette fois-ci, ce ne sera pas un lieu d’habitation, mais une base logistique, depuis laquelle renforcer l’occupation du square et les nouvelles réquisitions de bâtiments, souvent expulsés très rapidement. Des bénévoles et exilé.es s’y relaient depuis quatre mois pour assurer un repas quotidien pour 500 personnes. Des dons de nourriture, de vêtements, de couvertures et de matériel médical y affluent, mais ce sera avant tout un lieu d’innombrables rencontres et de sociabilité sur fond d’épluchures de légumes.

Nadim : Pour moi, l’Autre Cantine a changé des choses. Si je suis pas occupé, je suis là-bas tout le temps. J’aide à la cuisine ou à l’accueil, parce que toutes les cinq minutes, il y a des gens qui viennent.

Mahmud : Certains ont vraiment envie de faire quelque chose, mais ils ont du mal à savoir comment. Et là, rien qu’en cliquant sur la page facebook de la cantine, c’est incroyable, tu peux savoir ce dontv la cantine a besoin. Si tu as envie de faire quelque chose, tu rentres et il y aura toujours des choses à faire.

Elsa : Il y a des collectifs de mamans des quartiers aussi, ça mélange plein de gens. C’est moins intimidant qu’un squat…

Pia : C’est drôle parce que tu dis que c’est moins intimidant qu’un squat, mais c’en est un quand même. Les gens arrivent en pensant que c’est légal, que c’est soutenu par la mairie, et quand tu leur dis que c’est un squat, les gens répondent : « Quoi ? Ah ouais. » Et comme ça fait une semaine que les gens viennent s’investir, alors les gens n’ont plus peur du squat, c’est dédiabolisé d’un coup.

Sarina : Ce qui est intéressant dans l’Autre Cantine, c’est que ce n’est pas un squat d’habitation, alors tu vas pas chez quelqu’un. Et là, ça permet d’avoir un lieu physique pour tous les gens qui s’organisent via des groupes Facebook. Et c’est un lieu qui peut toucher vraiment tout le monde, et bon, la bouffe, c’est quelque chose qui rassemble. C’est de cuisiner ensemble qui attrape un peu les gens… Viens cuisiner et là on peut discuter, faire passer des idées.

Mahmud: Quand tu vas là-bas, tu as envie de revenir après, parce que tu vois l’ambiance, tu parles avec les gens.

Sam : Exilé.es et nantais.es se côtoient, se rencontrent. Pour les blancs, c’est aussi pouvoir sortir du fantasme de l’« exilé.e », que chacun imagine à sa façon.

Mahmud : Certains voient les migrants de loin et se disent : « Est-ce que c’est des bonnes personnes, est-ce qu’ils sont bien éduqués, est-ce qu’ils n’ont pas certaines maladies, est-ce que réellement c’est pas des jihadistes ? » Au moins, quand tu vas à un lieu, tu rencontres des gens… C’est donner et recevoir. Découvrir l’autre, ses cultures… En plus du besoin de pouvoir manger et tout ça, il y a aussi le besoin de pouvoir discuter avec les gens ! Surtout certaines personnes qui ont du mal avec la langue. S’il n’y a pas de gens avec qui ils peuvent dialoguer, échanger, ça ne va pas être facile. Je pense qu’il y a certaines personnes, des soutiens, qui passent au square Daviais juste pour ça, et c’est une bonne chose.

Épilogue

À Nantes, la situation ne cesse d’empirer depuis l’été dernier. On ne verra plus de tentes quechua remplir le square Daviais, selon Johanna Rolland. Le 20 septembre, une vaste opération d’expulsion est ordonnée. Elle sera suivie d’une « mise à l’abri » dans des gymnases. Ce soir-là, la maire de Nantes se félicite au JT que « 698 migrants dorment à l’abri avec un repas chaud ». Elle déclare ensuite que « plus aucune occupation de l’espace public ne sera tolérée ». Le square est aujourd’hui entouré de grillage et chaque centimètre de pelouse a été méticuleusement labouré.

4. Promesses-de-la-mairie

Cette « mise à l’abri » est bien entendu temporaire et spectaculaire. Elle masque en réalité, une fois de plus, une politique de tri et de dispersion. Les gymnases font office de centres de tri temporaires. La mairie tente des collaborations avec les communes environnantes pour trouver des places d’hébergement hors de Nantes, loin du centre-ville.

L’ EHPAD réquisitionné ce printemps a lui aussi été définitivement expulsé le 4 octobre denier. Des dizaines de fourgons de CRS ont « accompagné » les 120 migrants vers des gymnases. Beaucoup d’entre eux ont également été renvoyés vers le 115, où ils ont eu droit, suivant les personnes, à un hébergement d’une durée variant de cinq jours à deux mois. Cinq migrants ont été interpellés et envoyés directement au CRA (centre de rétention administrative) de Rennes. Après deux journées de soutien et d’acharnement des avocats, les cinq migrants incarcérés au CRA ont été relâchés pour vice de procédure.

Pourtant, il reste encore des exilés à la rue. Ces derniers temps, la police municipale et Nantes Métropole leur confisquent leurs duvets ; les services d’entretien les arrosent à l’aube sur les pelouses ; la BAC les pourchasse dans les rues la nuit. La mairie s’essaye à des formes de répression plus originales les unes que les autres ; la dernière en date consistant à retourner la pelouse des jardins publics ou à déverser des gravats après chaque expulsion, pour rendre la ville encore plus inhabitable. La traque silencieuse et sournoise continue, loin des projecteurs et discours médiatiques.

La « crise des migrants » est d’abord et surtout une crise de la politique d’accueil des exilé.es. Les gestes de solidarité organisés à la base, comme les ouvertures collectives de bâtiments vides, ont eu pour seule réponse le harcèlement judiciaire et la violence policière. Mais ces réponses absurdes, et cet acharnement inhumain, ne tariront jamais le flot d’exilé.es que le capitalisme, les guerres et la catastrophe climatique précipitent sur la route d’un occident qui s’emmure chaque jour un peu plus.

Continuez à suivre les nouvelles de la lutte avec les exilé.es à Nantes sur le facebook du CRAN et les activités de l’Autre Cantine ici.

 

5. Banderolle

1 L’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) peut-être émise en cas refus du titre de séjour, elle oblige (en théorie) l’exilé.e à quitter la France par ses propres moyens dans un délai de 30 jours ou sans délai du tout pour certains.
2« Dubliné » fait référence à un accord européen signé à Dublin, qui oblige les demandeurs d’asile à finaliser toutes leurs démarches dans le premier pays dans lequel ils ont été contrôlés. Cela veut dire que, même une fois arrivés en France, certains peuvent être renvoyés au pays de leur arrivée.
3La manifestation du 31 mars 2018 appelait à converger dans les rues de Nantes contre toutes les expulsions, à la date symbolique de la fin de la trêve hivernale. Organisée par des habitant.e.s de la ZAD, des personnes impliquées dans la lutte des exilé.e.s, des dizaines d’associations, des étudiants et des syndicats, elle réunira plusieurs milliers de personnes. Nous y reviendrons dans la deuxième partie de l’entretien.
4L’EHPAD est situé Rue de Bréa, dont l’appellation ‘Bréa’.
5Découvrez l’histoire de l’occupation de la faculté de Nantes et de son château dans la première partie de l’entretien sur zadibao.net
6France Horizon est une association gestionnaire d’établissements et de services sociaux et médico-sociaux. Elle gère notamment les CHRS (centres d’hébergement et de réinsertion sociale) et les EHPAD, et s’est engagée depuis 2015 dans la « gestion » et la « relocalisation » des exilé.e.s, mettant en place des CADA, CAO, des centres d’hébergement d’urgence, et des hébergements temporaires pour les mineurs isolés étrangers, en lien étroit avec les pouvoirs publics.

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