Chantier d’automne à l’auberge des Q de plomb

L’entretien ci-dessous s’est tenu au mois d’août 2018. Pour voir et entendre la verve incomparable de P’tit Claude, voici une vidéo d’octobre 2016.

À l’auberge des Q de plomb, on parle rarement à jeun. Il y a forcément un – ou plusieurs – verres de muscadet qui descendent dans les gosiers, et les phrases sont toujours entrecoupées par la mastication des tartines de pâté maison. « Résister dans la convivialité » est peint sur la façade, et ça ne se dément pas non plus aujourd’hui. Sur la terrasse, à l’étage, nous causons avec « le patron », qui n’est en réalité patron de rien mais dont la verve emplit ces murs, même lorsqu’il n’est pas là… Dès lors qu’on passe la porte de l’auberge, en bas, nos inflexions se teintent immédiatement d’un quelque chose de Claude, une expression argotique de son invention, un petit accent de l’est, un franc-parler qui met tout de suite au rencard le langage politiquement correct auquel on s’habitue malgré nous. Son personnage est joyeusement contagieux. Et nous sommes tous ravis d’attraper ce genre de maladie rare dont la grossièreté nous enchante. Les Q de plomb, c’est parce qu’après le repas, aucun des convives n’est plus capable de se lever. Pour l’interview, si on a fait un peu plus sobre, c’est que Monsieur Herbin a une invitation à lancer : du 1er au 5 octobre, tous les drilles de l’auberge vous convient à un chantier collectif pour parfaire les finitions du lieu. Personne ne le précise sur le petit tract, mais aucun des participants ne souffrira de faim, ni surtout de soif… Le labeur se terminera par un grand banquet le samedi midi.

Qu’est-ce qui te donne envie de rester là ?

Ben c’est l’auberge et puis ma vie ici. On s’est battus pour pouvoir rester là avec Christiane puis avec vous, et tout ce qu’il y a autour de la zad. Moi je l’avais dit : si les copains avaient été expulsés, moi je me cassais. On a fait des liens, y’a un truc qui tourne, l’auberge ça tourne collectivement, moi j’adore ça, je m’éclate à faire à bouffer. T’as vu tout le matos qu’on a maintenant ? On vient encore de récupérer une sauteuse, je pourrais faire 300 repas tous les jours avec ce matos.

Les Q de plomb ça a commencé avec les premiers squatteurs, en 2008-2009. On voulait s’auto-nourrir au maximum, légumes et viande, le tout sans être esclaves de ce boulot-là. Donc on avait organisé tout ça, on se remplaçait ; moi j’étais plus sur les animaux, eux ils étaient plus sur les légumes. C’était des personnes très très bricoleuses les premiers squatteurs, et donc ça m’a beaucoup aidé parce que moi j’étais pas bricoleur, j’avais toujours plein d’idées mais rien que le fait d’y penser, oh putain !… Alors ils sont arrivés et ils ont fait le poulailler, et plein d’autres trucs. On faisait un banquet tous les ans avec nos produits, mais on n’en avait pas beaucoup. Ils sont tous partis aujourd’hui ces premiers-là.

Puis après il y en a eu d’autres qui sont arrivés avant les expulsions de 2012. Ça a pas été facile au départ avec eux. Il y a eu une petite dispute avec des habitants, et nous on faisait un peu le tampon entre les habitants et les zadistes, alors on s’est un peu brouillés, mais ensuite on a causé, et puis je leur ai filé un bocal : alors là tout de suite… On s’est mis à faire le cochon ensemble, et y’a plus jamais eu de problèmes entre nous. Après j’ai eu des emmerdes avec Vinci, ils voulaient me virer et quelques-uns de cette équipe-là, avec d’autres de leurs copains, ils voulaient construire en dur sur la zad. Ils sont venus me demander si j’étais d’accord pour qu’ils refassent le bâtiment à côté pour faire l’auberge. C’était une grange en ruine à l’époque, une ancienne écurie. J’ai dit oui. Alors tant que c’est pas fait moi j’y crois pas trop, les zadistes ils ont leurs défauts quand même ; c’est fait mais faut pas de date ni d’heure… T’es perdu, au début tu gueules un peu puis après tu te dis bof… Et un été, en 2014, ils l’ont fait, y’a plein de gens qui sont arrivés de partout, y’avait des Espagnols, des Portugais, c’était grosse ambiance. Pendant deux mois ils ont tout cassé, puis ils ont tout refait. Puis petit à petit j’ai récupéré du matos et maintenant ça marche.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Moi j’ai signé une fiche en avril dernier pour l’auberge et pour mon logement. Mais si mon ancien propriétaire rachète, j’attendrais que l’huissier vienne pour lui payer le loyer, parce que c’est « grâce » à lui que je suis devenu squatteur, c’est lui qui a vendu à Vinci en disant que la maison était vide. Ça nous a coûté cher tout ça. Après, l’avocat, il a bien joué : j’ai été le premier à être emmerdé mais on a été les derniers expulsables. Dernièrement j’ai vu le mec de la DDTM [Direction Départementale des Territoires et de la Mer], je me suis présenté et il m’a dit : « Mais je vous connais très bien, c’est toujours bien de mettre un visage sur un nom connu. » D’après lui, l’État va pas s’emmerder avec ma maison, il m’a dit que je devrais plus avoir de problèmes d’expulsion. Je suis expulsable depuis le 31 mars, je paie plus Vinci, mais ils m’envoient toujours les notes ! D’après le mec, ici le Conseil Général ne rachète pas, c’est à l’État. Pour l’auberge, je sais plus comment il l’a dit, mais c’était quelque chose du genre : « Faudrait pas qu’on se fasse baiser, ça se passe comment l’auberge ? » Il l’a pas dit ça comme ça mais bon… Il devait croire qu’on avait un resto clandestin, le gars. Et c’est là qu’on lui a expliqué que l’auberge c’est que des copains, c’est que des repas associatifs, on fait aucun argent là-dessus.

Pour moi c’est clair, net et précis, c’est pas un resto ici, c’est que pour les amis et les membres de l’association « Le Liminbout restera debout ». Et du coup, il n’est pas question de mettre quoi que soit aux normes, j’ai mes normes bien précises à moi pour faire la bouffe à beaucoup de potes. Mais s’il faut que je passe par la DSV, c’est niet. Je refuse catégoriquement de voir qui que soit de la DSV, c’est des mange-merde qu’ils aillent se faire foutre. Après, moi je fais des efforts, la baraque s’il faut l’acheter on l’achètera mais c’est pas moi qui l’achèterais, c’est le mouvement. L’auberge, c’est collectif, moi je me considère pas proprio, la maison c’est chez moi, mais l’auberge non, donc si collectivement c’est décidé qu’il faut laisser venir la DSV et mettre aux normes, mettre du carrelage et tout, je m’y opposerais pas… Mais quand même, l’État va pas nous faire chier sous prétexte qu’il a abandonné l’aéroport ! Puis c’est de la merde ces normes, j’ai travaillé 20 ans dans une collectivité, je sais ce que c’est. Ils imposent des normes que pour pas avoir d’emmerdes et pour écouler leurs produits de merde industriels déjà contaminés d’avance, donc ils mettent tout en place pour pas avoir de responsabilités, pour que ce soit toi qui soit emmerdé. Tu peux pas faire à bouffer sainement. Moi je lave tout au vinaigre blanc, ben c’est interdit le vinaigre, tu dois tout désinfecter avec des produits qu’ils vendent eux, faut surtout mettre des gants parce que c’est dangereux, et ça coûte des blindes. Moi ici faut que ça reste comme c’est, en dehors de l’État quoi, on va pas baisser le pantalon, on peut le faire un peu pour sauver les meubles, mais faut pas pousser.

Je veux que ce soit convivial, avec les normes iso 2020 d’Herbin. Ce lieu il est bien pour ça, pour faire se rencontrer des gens de la zad et d’autres… Combien de fois y’a des copains des alentours qui viennent bouffer et qui serrent les fesses en arrivant, mais quand ils repartent ils sont très contents. Il y a des membres de l’asso qui sont pas des militants, parfois même moi ça me surprend. Certains du club de foot de Notre-Dame, par exemple, ou du motocross.

L’avenir ? Dans deux ans je suis à la retraite, alors mon avenir c’est ça, de rester comme on est, la récup’ et tout ça, boire des canons. Je pourrais partir un an ou deux en voyage, je suis invité de partout, dans toute la France et la moitié de l’Europe. Beaucoup de gens me connaissent. Tout ça c’est des trucs qui se sont faits comme ça. Je dois avoir une tête qui fait… je sais pas.

Quand ils ont annoncé l’abandon du projet, ça t’a fait quel effet ?

Ben moi ça m’a foutu les boules, j’étais pas content du tout. Pour moi, je disais : s’ils abandonnent on est morts, on aura plus le soutien de l’ACIPA, on est morts. C’était sûr et certain. Moi je crois que si on arrive à négocier encore un peu, à avoir des noms sur des parcelles, il faudra au moins deux ou trois ans pour que ça se stabilise. Après ça devrait pas être mal. Heureusement qu’y’en a qui vont négocier. Moi j’en ai rien à branler, s’ils me virent ils me virent, ça remettrait de l’ambiance ! C’était sympa en 2012, j’ai fait plein de rencontres.

S’il n’y avait pas eu la zad j’aurais pas pu faire ce que j’ai fait jusqu’à présent : pas avoir de ronds, pas trop bosser. C’est bien, tu peux discuter avec des gens, parce qu’au boulot je sortais de ma bulle et là-bas c’était que des ramassis d’abrutis, de racistes. 80 % des gens sont comme ça : le foot, la télé, le smartphone, les bagnoles. Alors moi j’y connais rien aux bagnoles, j’y connais rien aux téléphones et puis j’aime pas le foot alors j’te dis que les conversations c’était vite fait. En plus avec la zad ils me prenaient pour un con parce qu’ils comprenaient pas. J’étais à plein temps moi là-bas, puis j’en avais plein le cul, alors j’ai demandé à être à mi-temps. Le directeur est venu me voir et il m’a dit : « Vous savez que vous aurez moitié de salaire ? » J’ai dit : « Ah bon ? » Ils sont tous persuadés que j’ai touché un héritage ! C’est impensable pour eux que des gens diminuent comme ça leur salaire de moitié. Déjà on paie pratiquement pas de bouffe, et les loyers ça fait longtemps que j’en paie plus. La bouffe elle vient d’ici, c’est du confit d’intérêt que je fais, c’est notre production. Et quand t’achètes pas de bidoche et pas de légumes, je te dis que… Parce que moi je vais dans les supermarchés, c’est un petit hobby que j’ai, ça m’est resté de mon ancien temps, j’aime bien aller voir les gros caddys des gens qui se foncent sur la gueule, qui mettent des tapes aux gosses, ça m’amuse, je fais mon psychologue quand je vais là-bas. Puis je vais voir les prix, et quand je vois les côtes de cochon à 10 balles le kilo, je sais pas comment ils font les gens pour vivre. Donc nous on a déjà tout ça, t’es jamais dans la merde vraiment, il y a du soutien, dans un sens comme dans l’autre. Moi c’est ça qui me plaît ici. Ça restera ça, mais faudra du temps un peu.

Puis faudra retrouver une bonne ambiance, parce que moi ça m’a beaucoup gavé tous ces problèmes de tension qu’on a eu pendant et après les expulsions. Il y a vraiment des gens de la zad qui ont tout fait pour casser l’ambiance, le truc qu’on avait d’être tous ensemble. Mais je pense qu’on s’en remettra plus facilement que l’ACIPA. Parce que pour moi ici c’est deux-trois connards qui foutent le bordel, et puis qui entraînent des personnes qui viennent d’arriver sur les lieux. Parce que quand tu sais pas… Heureusement qu’y’en a qui sont pas trop cons et qui demandaient des explications, moi j’essayais d’expliquer comme je pouvais. Mais les extrémistes je les comprends pas, moi. J’ai toujours été un peu brut, peut-être, je sais pas comment on appelle ça, que si je veux dire des gros mots je les dis, si je veux manger de la viande je mange de la viande, celui à qui ça plaît pas… Y’a des trucs je suis assez obtus, je suis un vieux, aussi. Quand t’es dans un endroit puis que ça te convient pas… Si tu veux pas bouffer de viande et que tu veux pas voir les bêtes enfermées ben t’habites pas à côté d’une ferme. Nous on a fait l’appel à occuper en 2008, puis on les a reçus les gens, alors si ça te convient pas y’a plein d’autres endroits. En plus faut pas trop se plaindre, ici les gens du coin sont tolérants, si quelqu’un veut pas d’un truc, personne va le faire chier. Mais faut que ce soit dans les deux sens…

Pour le reste, l’État et tout, on devrait continuer à les baiser, ces cons. Les cumulards, c’est des abrutis quand même. Je sais même pas s’ils ont assez pour se payer une bouteille de rouge, ils sont pétés de thunes mais ils ont rien, ils ont que des prêts, des gros tracteurs, des machins. Si y’a n’importe quelle merde ils vont crever direct. Nous si y’a plus de subventions on va continuer à manger pareil, ils vont faire quoi, eux ? Ils ont rien ces gens-là. Ça me dépasse un peu. Et puis même si t’es riche qu’est-ce t’en a à branler d’avoir du terrain en plus ? Au niveau de l’État, les lois qui passent et tout, ça sent le roussi. On se fait entuber. Puis les gens disent rien, remarque moi non plus. En même temps je vais pas y aller tout seul avec ma petite pancarte. Remarque qu’au moment des forages, on n’était pas nombreux. Tu sais que notre but à l’époque c’était de les faire venir, c’était qu’ils puissent plus rien faire sans amener les flics… Là on a gagné sur toute la ligne ! 2500 qu’ils nous en ont envoyés !

 

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